« Colette, libre et révolutionnaire »
Exposition itinérante diffusée par la Société des amis de Colette à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de Colette
Présentation
À l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de Gabrielle Colette (28 janvier 1873 – 3 août 1954), la Société des amis de Colette, association reconnue d’utilité publique, met gratuitement à disposition des établissements scolaires et culturels qui souhaitent participer aux commémorations nationales une exposition généraliste qui permet à un large public de (re)découvrir le parcours et l’œuvre de Colette.
Extrait du texte de présentation
« Comment devient-on Colette ? Poser cette question, c’est revenir aux sources d’un désir de liberté sans pareil, évoquer les obstacles familiaux, sociaux et personnels qu’il fallut surmonter et toutes les conquêtes que Colette sut faire en pionnière, au fil de sa plume, en un demi-siècle de création. Colette, c’est la liberté d’être soi-même et de devenir tout autre, la liberté de “faire ce que je veux”, d’être mime, comédienne, journaliste, marchande de produits de beauté et une écrivaine de génie. Plus qu’un nom, un emblème ! »
Présentation matérielle
L’exposition se présente sous la forme de 11 panneaux de 2 mètres de haut sur 1 mètre de large, autoportants, à fixer sur une embase métallique (24 kilos par panneau). Les panneaux ont été imprimés sur une matière résistante à la pluie et aux UV et peuvent donc être exposés à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur.
Conditions de prêt de l’exposition
L’exposition est mise à disposition gratuitement des structures scolaires ou culturelles qui en font la demande sous réserve de disponibilité. Le transport aller et retour depuis Saint-Sauveur-en-Puisaye (89 – Yonne) est à la charge de l’emprunteur. Une convention de prêt sera fourni à chaque structure avant la mise à disposition.
L’exposition peut aussi être transmise sous forme de fichiers PDF sécurisés à dupliquer aux soins de l’emprunteur. Les impressions résultantes devront être exploitées dans les mêmes conditions que l’exposition originale et telles que définies par la présente convention.
Contact
Société des amis de Colette
8-10 rue Colette – 89520 Saint-Sauveur-en-Puisaye
www.amisdecolette.fr
contact@amisdecolette.fr – Tél. : 03 86 44 44 14
Sidonie Gabrielle Colette à 11 ans.
© Coll. La Maison de Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
1 - Reine de la terre
Colette vit ses derniers moments au royaume de l’insouciance, avant la ruine de ses parents. Elle est née à Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans l’Yonne, le 28 janvier 1873, des amours du capitaine Colette et de Sido, deux personnages hors du commun qui dédaignent les conventions et la morale courante. Sous leur impulsion, la petite Gabrielle mène une vie d’enfant peu ordinaire.
À 6 ans, elle lit couramment Daudet, Hugo, Labiche et sur- tout Balzac qu’elle admirera sa vie durant: «Je suis née dans Balzac. » Elle visite Paris, Bruxelles, joue les agents électoraux pour son père lors- qu’il se lance dans une impro- bable carrière politique.
Sa maison natale reste le centre de son univers, le lieu de toutes ses félicités. Quant au jardin, c’est le royaume de Sido, son école du regard puisque son enseignement constant tient en un mot : « Regarde ! » La campagne environnante, avec ses bois, ses prés, ses étangs, lui offre un espace bien plus vaste encore d’initiation et de découvertes. Au lever du jour, elle part vagabonder à travers cette nature « onduleuse », s’imprègne des odeurs vives de l’aube, s’émerveille de chaque couleur, tend l’oreille aux mille et un bruits que font les animaux. Grisantes escapades qui lui procurent un incomparable sentiment de liberté et de puissance, la certitude d’être une enfant à part. Goût de l’indépendance, amour respectueux de toute vie, végétale ou animale, cette enfance restera son domaine enchanté, sa référence, une arme contre les épreuves de la vie et sa plus grande source d’inspiration.
« J’aimais tant l’aube, déjà, que ma mère me l’accordait en récompense. J’obtenais qu’elle m’éveillât à trois heures et demie, et je m’en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues. À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et, quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d’abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… C’est sur ce chemin, c’est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d’un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale déformé par son éclosion.”
(Colette, Sido, 1930)
Seule photographie connue réunissant tous les membres de la famille : au centre Gabrielle, « notre Colette », au-dessus d’elle ses parents : Sido et le Capitaine ; à gauche, croisant les bras, c’est Juliette, sa demi-sœur ; debout au-dessus de celle-ci Léopold, le plus jeune des frères ; et à droite, en haut, Achille, « l’aîné sans rivaux ».
© Coll. La Maison de Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
Adèle Sidonie Landoy (1835-1912), dite « Sido », la mère de Colette : « le personnage principal de toute ma vie ».
© Coll. La Maison de Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
La façade « grave et revêche » de la maison natale de Colette, annotée par elle : « Ma maison reste pour moi ce qu’elle fut toujours : une relique, un terrier, le musée de ma jeunesse. »
© Coll. Centre d’études Colette, Auxerre (Yonne).
Gabrielle et Léo dans le Jardin-du-Haut où règne Sido, au centre d’“une rose des vents imaginaire.
© Coll. Centre d’études Colette, Auxerre (Yonne).
2 - À la croisée des chemins
À l’automne 1891, Colette a dit adieu à sa maison natale et à son enfance. Acculés par les dettes, face à l’hostilité d’un village qui reproche au capitaine Colette son ambition et à Sido sa liberté de penser, les Colette ont quitté Saint-Sauveur-en-Puisaye pour s’ins- taller à Châtillon-Coligny, dans le Loiret, où Achille s’était installé comme médecin. Belle, vive et intelligente, mais « sans métier ni fortune », Colette est à la croisée des chemins ; elle attend, se déguise, se met en scène et se cherche devant l’objectif de son frère, rêveuse, un brin romantique. C’est dans ce contexte qu’elle rencontre Henry Gauthier-Villars (1859-1931), alias Willy, un journaliste en vue qui, sous le nom de « L’Ouvreuse », fai- sait tourbillonner ses calembours et ses coq-à-l’âne dans les salles de concert et les salons parisiens, un « écrivain par procuration » qui signe des livres qu’il fait écrire par d’autres dans des « ateliers »… Leur mariage le 15 mai 1893 scelle la naissance d’un couple qui écrira un des chapitres les plus brillants de la Belle Époque.
« De la première, de la seconde année de mon mariage, je conserve un souvenir net et fantastique, comme l’image que l’on rapporte du fond d’un rêve désordonné dont tous les détails, sous une incohérence apparente, contiennent des symboles clairs et funestes. Mais j’avais vingt et un ans et j’oubliais à chaque moment les symboles. […] J’ai eu beaucoup de peine à accepter qu’il existât autant de différence entre l’état de fille et l’état de femme, entre la vie de la campagne et la vie à Paris, entre la présence – tout au moins l’illusion – du bonheur et son absence, entre l’amour et le laborieux, l’épuisant divertissement sensuel… ”
(Colette, Mes apprentissages, 1936)
Colette à 20 ans, photographiée par son frère Achille Robineau-Duclos.
Sido devant la maison d’Achille Robineau-Duclos, rue de l’Église, à Châtillon-Coligny, dans le Loiret.
© Coll. La Maison de Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
Willy, Colette, le Capitaine et Sido à Châtillon-Coligny, vers 1893.
© Coll. La Maison de Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
Colette et Willy, un couple en vue de la Belle Époque, à la Une de La Revue illustrée, au mois de juillet 1902.
© Coll. Frédéric Maget.
Colette photographiée par son frère Achille Robineau-Duclos, vers 1892.
© Coll. La Maison de Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
Colette-Claudine en compagnie de Willy et de Toby-Chien,
photographiés par Charles Gerschel en 1902.
3 - Et Colette inventa Claudine
La jeune épouse de Willy fut très tôt associée aux « ateliers » où elle fait la connais- sance de jeunes écrivains et musicologues qui deviendront des amis: Jean de Tinan, Pierre Veber, Curnonsky, Émile Vuillermoz… Simple copiste, puis secrétaire, Willy lui suggère en 1895 de « jeter sur le papier des souvenirs de l’école primaire ». Colette qui ne songe pas à écrire s’exécute et cela donne naissance à Claudine à l’école, roman signé Willy qui paraît dans les premiers mois de 1900. « Vivante, debout et terrible », la gobette de Montigny-en-Fresnois ouvre le siècle et d’un coup de bottine fait « rouler du haut en bas du Parnasse toutes les muses fardées » du Symbolisme finissant. Elle est la première héroïne moderne de notre littérature. Claudine à Paris (1901), Claudine en ménage (1902), Claudine s’en va (1903) s’enchaînent. Le succès est immense, savamment orchestré par Willy, « M. Réclamier », qui adapte le roman pour la scène, en fait une opérette et invente le produit dérivé (col Claudine, lotion, parfum, cigarettes, glace, gâteau, cure-dent, etc.). Jouant de toutes les ambiguïtés, il fait poser Colette en sarrau noir et bottines. Pour mieux ressembler à son personnage, elle a dû couper « ses beaux cheveux d’or qui tombaient jusqu’à terre », au grand dam de sa mère, Sido : « j’ai eu un gros chagrin que tu aies anéanti mon chef-d’œuvre de vingt années. » Colette est devenue célèbre, mais on l’ignore encore.
« Je m’appelle Claudine, j’habite Montigny ; j’y suis née en 1884 ; probablement je n’y mourrai pas. Mon Manuel de géographie départementale s’exprime ainsi : « Montigny-en-Fresnois, jolie petite ville de 1950 habitants, construite en amphithéâtre sur la Thaize ; on y admire une tour sarrasine bien conservée… » Moi, ça ne me dit rien du tout, ces descriptions-là ! […] C’est un village, et pas une ville : les rues, grâce au Ciel, ne sont pas pavées ; les averses y roulent en petits torrents, secs au bout de deux heures ; c’est un village, pas très joli même, et que pourtant j’adore.”
(Colette et Willy, Claudine à l’école, 1900)
Sido devant la maison d’Achille Robineau-Duclos, rue de l’Église, à Châtillon-Coligny, dans le Loiret.
© Coll. La Maison de Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
Jouant de toutes les ambiguïtés, Willy fit fabriquer des tenues identiques pour Colette et Polaire qu’elles devaient porter lorsqu’elles étaient à ses côtés.
© Coll. Foulques de Jouvenel.
L’artiste de music-hall Polaire (Émélie Bouchaud, dite ; 1874-1939), célèbre pour sa taille d’une finesse extrême, imposa et popularisa définitivement l’image de Claudine (cheveux courts, sarrau noir, bottines et col Claudine).
© Coll. Frédéric Maget.
Tract publicitaire pour Claudine à Paris.
© Coll. Michel Remy-Bieth.
4 - Colette en scène
Poussée par la nécessité de gagner sa vie autant que par la passion, Colette s’est tournée vers le music-hall. Mime, danseuse, comédienne, elle travaille avec rigueur et professionnalisme pour apprendre le « métier de ceux qui n’en ont appris aucun ». Ces années, qui comptent parmi les plus difficiles de son existence, reflètent une période combative et prometteuse qui l’engage de manière décisive sur la voie de l’indépendance. La scène va devenir le vrai théâtre de son émancipation, un tremplin qui va l’amener à se dépasser. Elle y fait l’expérience du corps libéré de ses entraves et ose être naturelle dans une société qui banni le naturel, c’est-à-dire le corps à nu. À ceux qui s’indignent de son au- dace, elle répond : « Je veux faire ce que je veux. Je veux danser nue si le maillot me gêne et humilie ma plastique. » Libre d’être et d’aimer. Sur la scène du Moulin-Rouge, en 1907, elle provoque un tumulte reten- tissant en échangeant un baiser avec Missy, sa compagne à la ville, dans la pantomime Rêve d’Égypte. Son audace fait recette et lui vaut un succès considérable dans les spectacles où elle se produit, à Paris comme en tournée : Aux Bat. d’Af., L’Oiseau de nuit, La Chatte amoureuse…, un joli répertoire qui lui permet de très bien gagner sa vie. Ce qui ne l’empêche pas de prendre conscience que pour bon nombre de ses camarades, les paillettes et les lumières ne sont en fait que des cache-misère et que les coulisses sont peuplées de travailleurs tourmentés par la faim et l’inquiétude du lendemain. C’est l’envers du music-hall.
« La solitude… la liberté… mon travail plaisant et pénible de mime et de danseuse… les muscles heureux et las, le souci nouveau, et qui délasse de l’autre, de gagner moi-même mon repas, ma robe, mon loyer… voilà quel fut, tout de suite, mon lot, mais aussi la défiance sauvage, le dégoût du milieu où j’avais vécu et souffert, une stupide peur de l’homme, des hommes et des femmes aussi… Et cette bizarrerie encore, qui me vint très vite, de ne me sentir isolée, défendue de mes semblables, que sur la scène – la barrière de feu me gardant contre tous… ”
(Colette, La Vagabonde, 1910)
Colette en 1911 dans le mimodrame L’Oiseau de nuit.
Colette en petit faune dans le mimodrame Le Désir, la Chimère et l’Amour. C’est dans ce rôle qu’elle fait ses débuts sur la scène, au théâtre des Mathurins, en février 1906.
© Coll. Centre d’études Colette, Auxerre (Yonne).
À l’automne 1906, Colette crée la sensation dans La Romanichelle en se produisant aux côtés de sa compagne, Missy, qui joue le rôle d’un peintre tout de velours vêtu.
© Coll. Centre d’études Colette, Auxerre (Yonne).
Affiche unique pour la création de Rêve d’Égypte, le 3 janvier 1907. Yssim n’est autre que Missy. Les journaux s’emparent aussitôt de l’affaire : Missy, de son vrai nom Mathilde de Morny, marquise de Belbeuf, est en effet la nièce de Napoléon III.
De plus, l’affiche reproduit les blasons des Belbeuf et des Morny. C’est de là qu’allait naître le « scandale du Moulin-Rouge ».
© Coll. Michel Remy-Bieth.
Colette vers 1910.
5 - Écrire, pouvoir écrire
Pour beaucoup, Colette est « une femme de lettres qui a mal tourné », mais celle-ci n’en a pas pour autant renoncé à écrire. Au contraire, elle trouve dans l’exercice de son nouveau métier de mime et de comédienne une nouvelle source d’inspiration. Dans La Vagabonde, publié en 1910, elle met en scène Renée Néré, romancière divorcée convertie à la scène, confrontée à la nécessité de gagner sa vie et qui refuse « l’asservissement conjugal » au nom de sa liberté. Colette donne une existence littéraire au personnage de « la dame seule », marginalisée par la société, et développe pour la première fois des thèmes qui deviendront centraux dans son œuvre comme la quête de soi et le renoncement à l’amour… Elle y décrit également avec une grande tendresse le petit peuple du music-hall, dévoilant « l’envers de ce que les autres regardent à l’endroit », témoignant du quotidien misérable et sordide des artistes qui parcourent la France de trains cahotants en hôtels minables… Ses plus beaux textes furent réunis dans L’Envers du music-hall (1913), mais elle restera toujours fidèle à ses camarades. Dans « Gribiche », un de ses chefs-d’œuvre, publié en 1937, elle raconte l’avortement tragique d’une jeune danseuse. Purs et innocents, les artistes du music-hall sont des personnages à part, chers à Colette.
« Les forces mystérieuses de la discipline, du rythme musical, l’orgueil enfantin et noble de paraître beaux, de paraître forts, nous soulèvent, nous conduisent… Le public, prostré, invisible dans la salle éteinte, ne verra rien de ce qu’il doit ignorer : le halètement rapide qui dessèche nos poumons, l’eau qui inonde et noircit la soie de nos costumes, la moustache de sueur et de poudre collée, qui virilise si mal à propos ma lèvre supérieure ; il ne verra pas, dans le visage exténué de son comique favori, le regard égaré, enragé, l’envie de mordre. […] Le rideau tombé, nous nous séparons vite, comme honteux, pauvre troupeau fumant que nous sommes… Nous nous hâtons vers la rue, aspirant au soir sec et poussiéreux, vers l’illusion de la fraîcheur que verse une lune déjà haute, épanouie, chaude et dédorée… ”
(Colette, L’Envers du music-hall, 1913)
Colette lors d’une des deux tournées organisées par Charles Baret auxquelles elle participa en 1909 et 1910. À côté d’elle, on devine, sous son chapeau melon, Missy.
© Coll. Frédéric Maget.
Dédicace de Colette à Georges Wague sur l’édition originale de La Vagabonde, publié en 1910 chez Ollendorff, l’éditeur des Claudine. Colette signe encore « Colette Willy ».
© Coll. Frédéric Maget.
Georges Wague, professeur et partenaire de Colette qui l’évoque sous le nom de « Brague » dans La Vagabonde (1910) et dans L’Entrave (1913).
© Coll. Michel Remy-Bieth.
26 janvier 1919, Colette parée pour son baptême de l’air à bord de l’aérobus Caudron.
6 - Colette journaliste
Depuis près de dix ans, Colette s’est lancée dans le journalisme de terrain. Elle est une des premières femmes reporters. Et pour que rien ne lui échappe, elle est sur tous les fronts: elle monte en ballon, en avion, couvre l’élection présidentielle, des étapes du tour de France, des matchs de boxe, évoque le sort des chômeurs, des femmes battues et relate les procès des plus grands criminels de son temps. Quel que soit le sujet, elle captive ses lecteurs en leur donnant l’impression d’être aux premières loges des événements qu’elle rapporte. Par l’originalité de son regard, par sa façon de se mettre en scène, elle invente, elle innove, elle ouvre la voie au reportage intimiste. Le journalisme lui permet d’élargir sa palette et d’affiner son écriture qui gagne en efficacité et en sobriété. Voilà de quoi en remontrer à ses confrères les plus chevronnés. Car si elle a appris son métier sur le tas, elle a aussi très vite assimilé l’unique consigne des directeurs de journaux qui est : « Débrouillez-vous ! »
En près de 50 ans de carrière, elle a collaboré à des dizaines de journaux : Le Matin, Le Figaro, Vogue, Marianne, Paris-Soir, Marie-Claire, etc., et écrit plus d’un millier d’articles où elle a exploré tous les sujets : l’amour, la guerre, la mode et ses absurdités, la maternité, la pauvreté, la cuisine française, le cinéma, l’avortement… une journaliste en liberté.
« Le vingtième et dernier round jette l’un sur l’autre, chancelants, les deux adversaires. Comme à bout d’équilibre, la foule, debout derrière moi, ondule en rangs rompus; devant moi, des bras, des têtes se lèvent irrésistiblement… Un grondement singulier vient de naître, si profond qu’il semble sourdre de l’édifice même – prélude d’une clameur folle ; je m’aide à grand-peine de la lorgnette pour voir, sur le ring blafard, la mêlée de deux corps trébuchants, les poings gantés du Français blond qui frappent et refrappent, non plus avec la sûreté impérieuse de tout à l’heure, mais avec un redoublement aveugle, fourbu, comme puéril…”
(Colette, « Impressions de foule », Dans la foule, 1918)
Le siège du Matin, l’un des quatre grands quotidiens de l’époque, boulevard Poissonnière à Paris. Maurice Bunau-Varilla l’avait fait peindre en rouge pour attirer le chaland.
© Coll. Frédéric Maget.
Henry de Jouvenel (1876-1935) était avant-guerre l’un des deux rédacteurs en chef du Matin. Il épousa Colette en 1912.
© Coll. Frédéric Maget.
Colette au procès du criminel en série, Landru, envoyée par Le Matin le 7 novembre 1921.
© Coll. Société des amis de Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
Couverture du 100e numéro de Marie-Claire, le 27 janvier 1939, “ dont Colette est la rédactrice en chef : « Quel cœur ne bat pas pour Colette ? Femmes d’aujourd’hui nous lui devons beaucoup… »
© Coll. Frédéric Maget.
7 - La reconnaissance, enfin !
Cette décennie ouvre une période faste où Colette publie une série de chefs- d’œuvre qui va l’imposer définitivement au public et la faire reconnaître par ses pairs. Chéri, en 1920, qui conte l’histoire d’amour tragique entre un jeune homme et une femme vieillissante, amorce un renouveau dans sa manière d’écrire. Images frappantes, sûre- té du trait, son style s’est épuré, a gagné en efficacité. Avec Le Blé en herbe, en 1923, elle continue à interroger les rapports complexes du temps, de la différence d’âge et de l’amour. C’est aussi le premier roman qu’elle signe « Colette ». Exit « Colette Willy ». Voilà qu’à 50 ans, légalement, littérairement et familièrement, elle n’a plus qu’un nom, le sien : « Ne fallait-il, pour en arriver là, pour en revenir là, que trente ans de ma vie ? Je finirai par croire que ce n’était pas payer trop cher. » Mais c’est en utilisant sa propre histoire que Colette va remporter ses plus belles victoires. À l’orée de la maturité, elle se retourne vers son passé, un passé qui la reconduit à Saint-Sauveur, vers l’étoile de sa jeunesse : Sido. Désormais, Colette va se modeler sur l’image de sa défunte mère, dont la morale résonne clairement dans toute son œuvre à partir de La Maison de Claudine (1922), s’affirme dans La Naissance du jour (1928) et s’épanouit dans Sido (1930). Peu à peu, les deux personnages, Sido et sa fille, se superposent jusqu’à se confondre complètement dans une même attitude vis-à-vis de la vie et de l’univers.
Cette importante production marque la réussite littéraire de Colette que l’on considère désormais comme une classique.
« J’aurais volontiers illustré ces pages d’un portrait photographique. Mais il m’eût fallu une « Sido » debout, dans le jardin, entre la pompe, les hortensias, le frêne pleureur et le très vieux noyer. Là je l’ai laissée, quand je dus quitter ensemble le bonheur et mon plus jeune âge. Là, je l’ai pourtant revue, un moment furtif du printemps de 1928. Inspirée et le front levé, je crois qu’à cette même place elle convoque et recueille encore les rumeurs, les souffles et les présages qui accourent à elle, fidèlement, par les huit chemins de la Rose des Vents.”
(Colette, Sido, 1930)
Colette au début des années vingt.
Colette vers 1930. En quelques années, « la vagabonde » est devenue une écrivaine reconnue et célébrée. Les grands thèmes de l’œuvre sont en place : le triangle amoureux, le renoncement à l’amour, l’enfance et Sido, l’âge et la vieillesse… Elle n’aura de cesse de les enrichir.
© Coll. Centre d’études Colette, Auxerre (Yonne).
Colette dans Chéri aux côtés de Maurice Lagrenée, lors d’une reprise de la pièce au Théâtre Daunou en 1925. Chéri a été porté au théâtre avec l’aide d’un jeune et talentueux dramaturge, Léopold Marchand. Le succès est au rendez-vous et, pour la centième représentation, Colette cède à l’envie de“remonter sur les planches pour y jouer le rôle de Léa.
© Coll. : Frédéric Maget.
Affiche du Blé en herbe, adapté par Claude Autant-Lara en 1954, avec Edwige Feuillère, Nicole Berger et Pierre Michel-Beck. Colette, qui ne put assister à la première donnée au profit du fonds de solidarité universitaire, avait enregistré un message sur disque qui fut diffusé avant la projection. Elle y délivre toute la sagesse héritée de sa mère, une morale au jour le jour qui considère la vie comme une suite d’éclosions et de découvertes ininterrompues.
© Coll. Centre d’études Colette, Auxerre (Yonne).
Colette à la Treille muscate, à Saint-Tropez, dans les années 30.
8 - Colette hédoniste
« Une femme se réclame d’autant de pays natals qu’elle a eu d’amours heureux », dé- clare Colette dans La Naissance du jour (1928). Au mitan de sa vie, elle tombe amoureuse de Maurice Goudeket et de la Provence. Elle achète, un peu à l’écart de Saint-Tropez, un petit mas abandonné, situé au milieu des vignes et qu’un sentier sépare de la mer. Alors qu’elle professe dans ses œuvres le renoncement et l’abstention (« on possède dans l’abstention et dans l’abstention seulement »), elle goûte ses plus belles heures. Les fruits mûrs cueillis sur l’arbre, le vin frais tiré du puits, la sieste et les longues nuits sur la « terrasse à dormir dehors », Colette engraisse « à vue d’ail » et revendique son droit à la gourmandise («J’aime être gourmande »). Qu’importent l’âge, la maladie et les inévitables angoisses, à son image, les héroïnes de ses romans ne renoncent pas à «ces plaisirs… qu’on nomme à la légère physiques ». Hédoniste Colette ? Peut-être mais à la façon des anciens grecs pour qui la recherche du plaisir impliquait une dis- cipline personnelle, la connaissance de soi et des autres, l’amour de la vie et une curiosité universelle.
« Une femme se réclame d’autant de pays natals qu’elle a eu d’amours heureux. Elle naît aussi sous chaque ciel où elle guérit la douleur d’aimer. À ce compte, ce rivage bleu de sel, pavoisé de tomates et de poivrons, est deux fois mien. Quelle richesse, et que de temps passé à l’ignorer ! L’air est léger, le soleil ride et confit sur le cep la grappe tôt mûrie, l’ail a grand goût. Majestueux dénûment qu’impose parfois au sol la soif, paresse élégante qu’enseigne un peuple sobre, ô mes biens tardifs… Ne nous plaignons pas. C’est ma maturité qui vous était due.”
(Colette, La Naissance du jour, 1928)
La Treille muscate. Un été, Colette a la désagréable surprise de découvrir chez le papetier du port de Saint-Tropez une carte postale représentant la Treille muscate, diffusée, bien sûr, sans son autorisation et qui plus est avec une faute d’orthographe à son nom. Elle fit saisir les cartes-pirates et prépara ses bagages. En 1938, les touristes ont fait fuir Madame Colette.
© Coll. Michel Remy-Bieth.
Colette par André Dunoyer de Segonzac. Le peintre André Dunoyer de Segonzac, voisin de Colette à Saint-Tropez, réalisa en 1928 plusieurs portraits de l’écrivaine au travail, les cheveux en bataille et le regard surchargé de noir. Ces portraits, qui seront reproduits à l’eau-forte dans La Treille muscate (1932) et les Cahiers Colette (1934-1936), sont d’une grande intensité.
© Coll. Michel Remy-Bieth.
Colette et Renée Hamon à la Treille muscate. « L’amitié peut beaucoup », écrit Colette. Toute sa vie, elle fut entourée d’hommes et surtout de femmes, la plupart écrivaines ou artistes, et mit en valeur, dans ses romans, la solidarité féminine contre « l’homme méchant ».
© Coll. Frédéric Bieth.
Couverture de l’édition originale de Ces plaisirs… (Ferenczi, 1932) que Colette considérait comme son chef-d’œuvre et où elle aborde de façon pionnière la question du genre et des identités sexuelles.
© Coll. Société des amis de Colette, Saint-Sauveur-en-Pusiaye (Yonne).
9 - Le second métier de l’écrivain
Colette s’est mis en tête de vendre ce qu’elle appelle des « trucsasfouttsulapeau », autrement dit une gamme de produits de beauté. Passionnée par cette nouvelle aventure, elle supervise la fabrication des produits, rédige les prospectus et le catalogue publici- taire, se charge des relations publiques, conseille et maquille les clientes.
Pour promouvoir sa petite entreprise, l’esthéticienne en herbe multiplie les séances de démonstration et les conférences sur l’esthétique, de Toulon à Zurich, de Tours à Liège. Mais elle a beau se dépenser sans compter, c’est d’abord l’écrivain célèbre que l’on vient voir. Passés les débuts prometteurs et le succès de curiosité, les ventes ne décollent pas. La petite marque Colette ne pourra résister à l’arrivée des géants américains comme Helena Rubinstein ou Elisabeth Arden. Il ne sera plus question de l’institut de beauté après l’été 1933. Mais tout n’est pas perdu. À l’occasion d’une réédition des Vrilles de la vigne en 1934, Colette révèle ce que cette expérience lui a enseigné sur les femmes de son temps. Combien elles savent résister dignement à l’âge, ruser avec l’ennemi, renaître sous le fard, en attendant de devoir un jour composer avec la vieillesse, et atteindre, sans jamais se résigner, « le chic suprême du savoir-décliner ».
Désormais consciente que son nom a une valeur marchande, elle accepte d’écrire textes et slogans pour les marques et entreprises qui la sollicitent : Lanvin, Rochas, Hermès, Le Printemps, Les Galeries Lafayette, Ford, Philips, Perrier, les vins Nicolas, Lucky Strike… et bien d’autres.
« Je n’ai jamais donné autant d’estime à la femme, autant d’admiration que depuis que je la vois de tout près, depuis que je tiens, renversé sous le rayon bleu métallique, son visage sans secrets, riche d’expression, varié sous ses rides agiles, ou nouveau et rafraîchi d’avoir quitté un moment sa couleur étrangère.
Ô lutteuses ! C’est de lutter que vous restez jeunes.”
(Colette, « Maquillages », Les Vrilles de la vigne, édition 1934)
Colette dans l’institut de beauté qu’elle a ouvert à Paris, 6 rue de Miromesnil, en juin 1932.
Colette a rédigé elle-même le catalogue publicitaire de ses produits de beauté. Elle y donne des conseils avisés qui valent encore aujourd’hui : « Méfiez-vous des bains de soleil prolongés ; usez généreusement d’une bonne huile, avant, pendant, après le bain de mer » ou encore cette précieuse recommandation : « Ne négligez pas l’épiderme de vos mains, qui révèle votre âge plus crûment, souvent, que votre visage ».
© Coll. Michel Remy-Bieth.
Produits cosmétiques « Colette », fard à joues, pinceau, poudre. Flacons, boîtes et étuis sont tous baptisés de noms drôles ou poétiques : lotions « Hop-là », « Eau Couleur- de-Rose » ; rouges à lèvres « Cerises volées », « Rouge tragique », « Pomme d’amour » ; crème : « Je nourris » ; fards à paupières :
« Bleu d’orage », « Bleu Paon » Sans oublier le pinceau pour étaler le fard qui porte le joli nom de : « Patte de chat ».
© Coll. Michel Remy-Bieth.
Pour les voitures américaines Ford, en 1933, Colette invente une esthétique de l’automobile ultra-moderne, changeante et raffinée, à l’image de la femme nouvelle, « modelée par son époque !… »
© Coll. Michel Remy-Bieth. Coll. Michel Remy-Bieth.
Colette par Jean-Marie Marcel dans son appartement au Palais-Royal en 1938.
10 - La bonne dame du Palais-Royal
En 1938, Colette gagne l’étage noble du Palais-Royal. Apprenant qu’elle rêvait d’emménager dans l’appartement du 1er étage au 9 rue de Beaujolais, où elle avait autrefois occupé l’entresol, le locataire s’est désisté. Colette retrouve une province au cœur de Paris. Mais l’arthrite peu à peu immobilise la vagabonde. Désormais, c’est depuis son « lit-radeau » qu’elle observe le monde, attentive aux cris des enfants, à la couleur du ciel, suivant les chemins de la mémoire. Si elle voit avec amertume revenir la guerre, elle crée, comme un remède à la noirceur des temps, une nouvelle héroïne : Gigi, petite sœur de Claudine. C’est son dernier grand succès ; il lance les carrières de Danièle Delorme et d’Audrey Hepburn. La paix revenue, Colette est élue à l’Académie Goncourt qu’elle préside à partir de 1949. C’est la gloire. On vient de loin pour la rencontrer. Malgré la souffrance et la maladie, elle n’a pas renoncé à sa quête du « mot meilleur, et encore meilleur que meilleur » dans L’Étoile Vesper (1946) et Le Fanal bleu (1949). À des étudiants venus assister à la projection du Blé en herbe (1954), le film de Claude Autant-Lara, elle déclare : « Je ne cesserai d’éclore que pour cesser de vivre. » Mais le 3 août 1954, sa flamme s’éteint; Colette meurt à 81 ans. La République française lui accorde des ob- sèques nationales, les premières pour une femme. Sur sa tombe, au Père-Lachaise, un nom, un seul: Colette. Toute une vie et toute une œuvre pour pouvoir signer « légalement, littérairement et familièrement » d’un nom qui était le sien.
« Ô découvertes, et toujours découvertes! Il n’y a qu’à attendre pour que tout s’éclaire. Au lieu d’aborder des îles, je vogue donc vers ce large où ne parvient que le bruit solitaire du cœur, pareil à celui du ressac ? Rien ne dépérit, c’est moi qui m’éloigne, rassurons-nous. Le large, mais non le désert. Découvrir qu’il n’y a pas de désert : c’est assez pour que je triomphe de ce qui m’assiège.”
(Colette, Le Fanal bleu, 1949)
Colette et les membres de l’Académie Goncourt où elle fut élue en 1945 et qu’elle préside à partir de 1949.
© Coll. Frédéric Maget.
Colette et Jean Cocteau son voisin et ami au Palais-Royal.
© Coll. Centre d’études Colette, Auxerre (Yonne).
Colette et Audrey Hepburn, la jeune comédienne qu’elle avait rencontrée dans le hall de l’hôtel de Paris à Monte-Carlo et qu’elle avait imposée aux producteurs américains pour la création de Gigi à Broadway.
© Coll. Centre d’études Colette, Auxerre (Yonne).